L’ULiège développe une technologie unique au monde pour mesurer l’écoulement d’eaux contaminées dans le sous-sol



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Des ingénieurs de l’Université de Liège ont mis au point une technologie unique au monde capable de mesurer directement la vitesse d’écoulement des eaux dans les nappes aquifères, de suivre en continu les variations de ces écoulements et d’en comprendre l’hydrodynamique. Une technologie prometteuse qui a déjà fait ses preuves en permettant de cibler des zones où les décharges d’eau et de polluants sont importantes et donc là où ces polluants présentent un risque. Cette technologie brevetée se muera prochainement en une nouvelle entreprise spin-off.

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es eaux souterraines comptent parmi les ressources naturelles les plus importantes de notre planète. Elles nécessitent une protection et une gestion appropriées. Si elles semblent protégées de la pollution de l’air, il arrive souvent que ces nappes soient contaminées (anciennes activités industrielles, rejets accidentels, pollutions diffuses, etc.). L’infiltration de l’eau dans le sol permet alors aux polluants présents en surface d’atteindre les nappes et de se répandre en profondeur en engendrant un risque de contamination accru des eaux souterraines. Il reste qu’il est difficile de mesurer exactement cet écoulement, sauf en mettant en œuvre des dispositifs de monitoring importants et coûteux. Un constat qui n’a pas échappé au Laboratoire d’Hydrogéologie et Géologie de l’Environnement de l’Université de Liège dirigé par Alain Dassargues et Serge Brouyère qui, depuis le début des années 2000, développe la méthode FVPDM (Finite Volume Point Dilution Method), une méthode qui consiste en une mesure directe des flux d’eaux souterraines. Outre une meilleure compréhension de la dynamique des écoulements souterrains, cette méthode permet de calculer les flux de polluants qui migrent au travers des aquifères et risquent d’atteindre des récepteurs (cours d’eau de surface, captage de distribution, etc.). Les mesures de ces flux permettent in fine d’optimiser les plans de gestion des sites pollués et de réduire de manière substantielle les coûts associés tout en garantissant un contrôle de ces risques. Si les chercheurs ont pu éprouver leur modèle en laboratoire, les tests sur sites réels ont permis de valider cette technologie brevetée.

« La technologie consiste en un traçage par dilution en puits unique, explique Pierre Jamin, chercheur à la Faculté des Sciences appliquées de l’ULiège et porteur du projet. Concrètement, un traceur est injecté en continu dans un puit et sa concentration est suivie au cours du temps. Plus le flux d’eau souterraine traversant naturellement ce puit est important, plus le traceur sera dilué et plus sa concentration dans le puit sera faible par rapport à la concentration injectée. Cette méthode permet donc de suivre en continu et pendant plusieurs jours, semaines ou mois, les variations d’écoulement de l’eau dans les aquifères et d’en comprendre l’hydrodynamique, ce qui la rend unique au monde. »

Sous l’impulsion du bureau d’études Geolys, l’équipe de l’ULiège a été contactée par le service Environnement d’Elia, gestionnaire du réseau de transport d’électricité à haute tension belge dans le cadre de la gestion environnementale d’un de ses sites de Bruxelles. « L'aquifère alluvial situé sous le site y est contaminé par huit métaux lourds et présente un risque de dispersion dans la rivière jouxtant la parcelle, explique Pierre Jamin. Elia, qui n’est pas responsable de cette pollution, a hérité d’un foncier dégradé en faisant l’acquisition du site et a pris à sa charge la gestion de cette pollution. L'évaluation des risques de dispersion basée uniquement sur des méthodes classiques n'ayant pas permis de quantifier précisément le risque de rejet dans la rivière, un monitoring des eaux souterraines, des eaux de surface et des sédiments de la Senne lourd et coûteux, comprenant 43 puits de surveillance échantillonnés deux fois par an et pendant 30 ans, a dû être mis en œuvre. »

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Grâce à la volonté d’Elia de soutenir l’innovation, et en collaboration avec le bureau d’études Geolys, le laboratoire de l’ULiège a proposé une méthodologie avancée d'évaluation des risques basée sur la mesure et la surveillance des flux d'eaux souterraines ainsi que sur la quantification des flux de métaux dissous et leur décharge potentielle dans la rivière. « Des mesures de flux d'eau souterraine ont été effectuées sur les 43 puits de surveillance, répartis comme un panneau de contrôle le long de la limite aval du site. Elles ont permis de caractériser l'hétérogénéité spatiale de l'écoulement des eaux souterraines et de quantifier la décharge totale d’eau et de métaux à travers la limite du site alimentant la rivière. »

Cette étude, a permis de mettre en évidence que, sur les huit métaux lourds présents dans les eaux souterraines, la décharge de sept des métaux n’était pas suffisante pour menacer la qualité de l'eau de la rivière. « L'approche ‘flux’ a également permis de mieux analyser l'évolution temporelle de l'importance des rejets, détaille Roland Marchal, directeur du bureau d’études Geolys. Une analyse de tendance robuste a montré une diminution globale des rejets totaux de métaux depuis 2014, ce qui était impossible à prouver jusqu'à présent sur la base des seules concentrations ».

Cette étude, validée par Bruxelles Environnement (administration de la région de Bruxelles-Capitale responsable de la conception et de la mise en œuvre des politiques environnementales), peut être considérée comme un cas de référence en région Bruxelloise. Il a dès lors été possible d’optimiser le plan de monitoring en œuvre sur le site en ne surveillant que 18 des 43 puits définis initialement, ces 18 puits représentant à eux seuls plus de 95 % de la décharge de métaux. La durée de surveillance a également pu être réduite de 21 à 9 ans, ce qui a mené à une économie de près de 70 % des coûts liés au monitoring. Geolys et Nagaré présenteront d’ailleurs ce cas de référence à l’ensemble des agents de Bruxelles Environnement lors de leur prochaine journée d’étude qui aura lieu en octobre 2023.

« Elia accorde beaucoup d'importance à l’innovation et nous sommes très heureux d’avoir pu soutenir le développement de cette technologie. Son application sur notre site a permis de répondre de façon plus précise aux interrogations de Bruxelles Environnement quant à la contribution potentielle du site à la qualité de l’eau de la Senne. De plus, le monitoring futur du site a pu être optimisé et les coûts réduits. Cet argent économisé pourra être affecté ailleurs dans l’entreprise qui a de nombreux défis à relever » explique Christophe Coq du service environnement d’Elia.

Nagaré, la société mettant en œuvre cette technologie et qui a pu bénéficier du soutien de la Région Wallonne au travers du projet First Spin-Off MFlux, a récemment été récompensée par le réseau NICOLE, un réseau important de professionnels dans le domaine de la gestion durable des sites et sols pollués. Nagaré a reçu le NICOLE Innovative Project Award 2023 pour « l’optimisation des plans de gestion des risques de dispersion des polluants dans les aquifères par l'utilisation d'approches innovantes basées sur les mesures de flux ». Cette récompense offre à la future spin-off une belle visibilité et une reconnaissance, par ses pairs, de la pertinence scientifique de la technologie et de son efficacité économique.

Vos contacts à l'ULiège

Pierre JAMIN

Serge Brouyère

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